Il est très tôt ce matin. J' entends le coq chanter et je dois mettre ma lampe frontale pour écrire. Je suis à Pokara au Nepal et termine à peine un trek de 30 jours. Ce matin, je comprends enfin pourquoi le voyage et le trek me manque quand je suis en Suisse.

Je comprends peut-être aussi pourquoi les gens en Europe semblent si ennuyés, si peu souriants, si préoccupés, et si peu disponibles voire même tristes et nerveux. Surtout les jeunes à la recherche de mouvement, de nouvelles choses qui bougent, agissent et réagissent. Nous vivons dans un monde aseptisé qui sans s'en rendre compte nous ennuie.

Quand vous vous levez le matin en Suisse un jour de semaine, vous savez à quelle heure votre réveil va sonner. Vous savez où se trouve la salle de bain. Vous savez qu' en tirant la chasse d'eau des toilettes tout va s' évacuer. Vous savez où est rangée votre brosse à dent. Vous savez comment régler la température de votre douche et que sa chaleur sera stable. Vous savez que vous n'aurez pas froid en sortant, car votre appartement est réglé à 21 degrés.

Vous savez ce que vous allez manger pour le déjeuner, vous connaissez exactement le dosage de cacao, de café ou de thé que vous aimez. Vous savez quel pain vous allez manger, celui de la Migros ou de la Coop. Vous connaissez sa consistance, son goût et combien de temps vous pouvez le garder. Vous connaissez aussi le goût de la confiture et du beurre.

Tous les matins vous prenez le bus 17 qui arrive à 6h48. Vous savez qu'il vous faut 4 min pour aller à l'arrêt de bus et que celui-ci sera plein. Arrivé au boulot, vous savez quels collègues seront déjà là. Vous savez que les fumeurs seront dehors, et les non fumeurs dedans. Vous savez que le café de la machine ne sera pas bon, mais qu'il vous passera le temps. Vous connaissez exactement les bâtiments. Vous savez que tout ce que vous allez utiliser va fonctionner. La lumière, la porte, le robinet, les stores, le PC. Après 4h de boulot, vous savez que vous aurez un repas chaud et ou vous allez pouvoir le prendre. Vous savez aussi qu' il y aura un dessert si vous avez encore faim. Vous connaissez le prix de chaque chose car il est affiché.

Si votre journée a été mauvaise, dans tous les cas vous savez qu'en rentrant le soir chez vous vous, allez retrouver votre bon canapé bleu, votre télévision, votre PC votre douche chaude, vos hobbies, votre cuisine, votre bon matelas bien confortable et votre lampe de chevet qui fonctionne.

Le voyage, c'est remplit d' inconnu. L'exigence, que l'on a chez nous, est obligatoirement réduite au plus simple. En trek nos exigences sont tellement réduites que seules les nécessités vitales sont importantes. Vous ne savez pas si l'eau est potable, si la nourriture est sans bactéries. Vous ne savez pas si vous allez pouvoir dormir confortablement. Si il va y avoir du bruit la nuit, si le lit va être trop dur, trop mou, trop étroit ou trop court. Vous ne savez pas si un rat habite votre chambre ou un autre animal. Si le toit est étanche quand il pleut. Vous ne savez pas si la douche fonctionne ou pas, si elle sera chaude ou froide, si le jet sera faible ou fort. Vous ne savez pas si l'électricité va fonctionner et si elle fonctionne,  si l'ampoule est cassée ou non.

Le matin au déjeuner quand vous commandez un café, vous ne savez pas s'il va venir ou quand il va venir. Vous ne savez pas s'il va être trop fort, trop clair. Si l' eau aura un goût, si la tasse est sale ou si un insecte flotte dedans. Pas moyen de se plaindre, tout fonctionne comme cela. S 'adapter est la seule possibilité. Absolument  tout ce que vous buvez, mangez, touchez ou utilisez en trek peut- être un vrai plaisir comme un vrai cauchemar. Le fait de ne jamais savoir de quoi va être fait le lendemain par de petites choses de la vie courante, donne toute une autre dimension sur notre caractère, nos exigences, nos besoins.

En Suisse, on vit dans un monde calibré, précis, fiable et rassurant, surprotégé. Cette qualité de vie est devenue tellement une habitude que les gens ne se rendent même plus compte du luxe que l'on a. Du coup, on devient malade quand la machine à café tombe en panne, quand on doit attendre deux minutes à la poste ou à la caisse. On n' a plus de temps pour discuter, il y a toujours quelque chose à faire. Un rien nous énerve, un rien peut gâcher notre journée ou changer notre humeur.

Tout cela, car on a l'habitude de vivre dans un monde parfait qui fonctionne à merveille Je pense que c'est pour cette raison que certains jeunes s'ennuient. C'est peut-être aussi pour cela que certaines personnes recherchent des sensations diverses comme la vitesse, l'adrénaline, la bagarre, la détérioration d'objet etc. Peut- être parce' qu'on a envie que les chose ne soient pas si parfaites et réglées.